Au 125 ans du CAB le 15 novembre dernier, Jean-Claude Legros nous a lu un texte sur son expérience à Shimshal en Asie centrale dans les montagnes du Pamir. Je vous propose ici la lecture de ce texte qui exprime l'émerveillement de la montagne exprimé comme il l'a vécu là-bas. Je trouve ce texte superbe et je voulais vous le partager.
Je m’appelle Mammud Shah et j’ai onze ou douze cents ans. A mon âge, on n’est plus à un siècle près… et puis, je dois bien l’avouer, la vue commençant à me jouer des tours, je tombe souvent dans les trous de mémoire …parce que je ne les vois plus… Au fait, combien de rêves peut-on mettre dans un trou de mémoire!
J’étais le gardien des chèvres et des moutons de mes parents, dans les pâturages qui dominent Passu, mon village, dans la vallée Hunza, au nord de ce pays que vous appelez maintenant le Pakistan. J’étais bien, dans ma solitude estivale, à regarder le souffle des sommets. Mes pensées, souvent, s’infiltraient dans les vallées que je devinais, au loin, par delà les montagnes.
Vers 15 ans, on m’a marié à Zibjohanne. Elle était trop jeune pour supporter les altitudes. Elle est morte bien vite, d’une vilaine toux, avant même que nous ne nous aimions vraiment. Alors, je suis parti tout seul, vers le Nord-Ouest. J’ai franchi une frontière, j’ai vécu dans des villages inconnus. Quand on me demandait où j’allais, je répondais : « Je vais à Shimshal ». J’avais inventé ce nom, pour qu’on me laisse tranquille. J’ai appris une nouvelle langue et, surtout, j’ai rencontré Zalidja. Nous nous sommes épousés.
Après deux années, nous sommes revenus à Passu, dans la famille. Elle n’y fut pas acceptée : mes parents lui donnaient à faire les pires corvées, les villageois se détournaient d’elle. Nous ne sommes pas restés. Avec nos maigres biens et quelques bêtes, nous avons cherché ce qui deviendrait notre paradis.
Nous avons voyagé cinq années, remontant le cours d’une rivière, franchissant des cols, construisant des cabanes dans lesquelles, parfois, nous restions quelques mois.
Nous devenions fatigués lorsqu’un jour, après avoir traversé un dangereux glacier, nous l’avons vu, notre lieu ! Je me souviens m’être retourné vers Zalidja et lui avoir dit que Shimshal, c’était là. C’était magnifique. Nous avions l’impression que les montagnes nous tendaient le cœur, nous attendaient en chœur tant elles nourrissaient le ciel de leurs éclats. Nous sommes restés enlacés de longues minutes, simplement heureux d’avoir enfin trouvé.
Nous avons défriché, aplani, construit, cultivé…et nous avons fait trois enfants.
Bien plus tard, quand ils furent en âge, ils partirent chercher femme dans la grande vallée – n’ayant pas à se préoccuper des bêtes : ils ne mirent qu’une dizaine de jours pour atteindre Passu. Les contacts reprirent, des échanges s’installèrent. Le village de Shimshal s’agrandit. Au bout de quelques années, nous étions plus de douze grandes familles à y vivre sereinement.
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